TEMANDROTA
BARBIE CAILLOU

PARIS
14 SEPTEMBRE - 23 NOVEMBRE 2022

La Fondation H, fondation privée malgache dédiée à l’art contemporain, a invité l’artiste Temandrota en résidence de création de trois mois à la Cité internationale des arts à Paris, il y développe un corpus d’œuvres donnant lieu à l’exposition Barbie caillou présentée dans notre espace parisien du 14 septembre au 23 novembre 2022.

Né en 1975 à Antananarivo (capitale de Madagascar), Temandrota de son vrai nom Randriahasandratra Razafimandimby puise ses inspirations dans la nature, et dans l’ambivalence d’une société moderne marquée par ses traditions. Premier lauréat du Prix Paritana en 2017, l’artiste manipule à la fois des éléments recyclés représentatifs de la société de consommation, des éléments naturels tels que la sève, le sisal, la terre ou encore des pigments d’origine animale ou végétale. Son travail a notamment été présenté au musée du Quai Branly en 2018 à l’occasion de l’exposition Madagascar, Arts de la Grande Île.

Issue d’une famille de chasseurs du sud de Madagascar, Temandrota a subi le kéré (situation de famine engendrée par la sécheresse dans le Sud de l’île), une tragédie séculaire qui a été pour lui un moteur guidant son processus de création. Son art étant fortement imprégné de son identité tandroy (peuple de la région Androy, le sud aride de la Grande Île), il interroge le monde traditionnel, lié à l’oralité et à la terre.

Pour son exposition Barbie caillou, l’artiste déploie ses recherches relatives aux traditions orales de son village natal et d’Antananarivo, en prenant comme point central un célèbre jeu pratiqué sur la Grande Île : le tantara vato aussi appelé Barbie caillou. Ce jeu, basé sur l’oralité des dialogues entre l’imaginaire et les réalités sociales, est pratiqué par les jeunes filles qui s’adonnent à faire converser des cailloux, personnifiant ainsi les habitants des maisons. Le but du tantara vato étant de faire rire et rêver les camarades, Temandrota a voulu s’y adonner, moyen pour lui d’exprimer son rêve le plus obsessionnel : le vœu de pluie. Temandrota le manifeste par une installation, présentée sur les deux niveaux de la Fondation H – Paris, rassemblant des objets naturels, des œuvres sur papier journal, des sculptures reprenant la tradition des aloalo (totems funéraires ornant les tombeaux du peuple Mahafaly), des éléments de récupération, ainsi que des œuvres tressées réalisées avec la complicité de certains pêcheurs de Fort Dauphin (ville au sud-est de l’île).

TEMANDROTA EN DISCUSSION AVEC LA FONDATION H

Bonjour Temandrota, tu présentes à la Fondation H – Paris, Barbie caillou, fruit de ta résidence de recherche et de création à la Cité internationale des arts à Paris. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Barbie caillou est un projet mêlant sculpture, installation et collage où j’introduis pour la toute première fois l’idée du ready-made avec la présence de la Barbie. Son symbole est fort, au-delà de toutes idées politiques et économiques, la Barbie représente l’idée du collectif, c’est un humain avant d’être un symbole de mondialisation. Elle m’accompagne dans mes créations et réflexions, je l’ai vue comme une camarade pendant mes mois de résidence.

Il s’agit de ton deuxième séjour à la Cité internationale des arts à Paris, qu’est-ce qui t’a le plus marqué lors de cette résidence ?

Ma rencontre avec les œuvres de l’artiste Simon Hantaï à la Fondation Louis Vuitton. Son travail du papier m’a replongé en 1997, lorsque je découvrais l’infini possibilité de cette matière, je me revois dans mon atelier essayant de déconstruire le papier pour le reconstruire. Le papier est omniprésent dans cette exposition, il est la base de toutes mes œuvres. Je recycle des vieux papiers journaux, ici des éditions de l’Express des années 70. Avant de les utiliser, je les lis, les faits et histoires de l’époque m’intéressent, j’y cherche en permanence une certaine positivité. C’est une énergie nourricière différente de celle que je reçois dans notre monde contemporain. J’aime l’idée de faire revivre ces mots anciens à travers mes œuvres.

Quelle est ta quête avec Barbie caillou ?

Une émotion joyeuse, un sentiment de paix. La lutte est permanente, la guerre est lourde, j’essaie de faire le vide à travers un jeu d’enfant; le tantara vato aussi appelé Barbie caillou. Lorsque les enfants y jouent, ils parlent de tout et de rien, c’est le tout et le rien qui me procurent un certain sens de l’équilibre et de paix.

Peux-tu nous parler davantage de ce jeu apparemment très populaire à Madagascar ?

Alors, je n’ai jamais joué aux poupées mais j’ai longtemps observé les jeunes filles y jouer. C’est un jeu pratiqué sur une bonne partie de l’île, dans les villes comme dans les villages. Au sol, les fondations des maisons y sont tracées avec beaucoup de détails, on y retrouve la cuisine avec son canapé et sa table, la chambre, les fenêtres avec un vase posé dessus, la marmite, le balai… C’est d’un grand réalisme. Les jeunes filles se positionnent autour de ces dessins et font dialoguer des cailloux représentant des membres de la famille. On pourrait comparer les dialogues à ceux des telenovelas, on y apprend tous les potins des maisons. Le tantara a justement cette magie de laisser place à un imaginaire infini, tout en restant ancré dans la société, dans le réel. Pour remporter une partie, il faut faire rire l’assemblée et faire rêver. C’est pour cette raison que j’ai voulu y jouer à mon tour.

Tu le pratiques à travers ton art? Quelle histoire veux-tu raconter ?

Oui, j’y joue visuellement avec l’enfant qui est en moi. Je ne peins pas, je ne sculpte pas, je symbolise. Comme les petites filles, j’ai moi aussi un rêve qui m’obsède: le vœu de pluie. La pluie est une quête permanente dans le sud aride de Madagascar. J’aimerais que les gens puissent voir les trous béants du village. Créer ces œuvres m’aide à concrétiser ce vœu de pluie, l’eau suinte des œuvres, prête à jaillir, à irriguer les cultures, redonner vie à la nature et aux hommes.

Aujourd’hui, tu résides à Antananarivo, capitale de Madagascar, mais tes préoccupations semblent être centrées sur ton village, et tes sources d’inspiration sont l’itinérance et le nomadisme. Comment vis-tu cet éloignement ?

Ambatobendretsiombe, au sud de l’île, est le village qui m’a façonné en tant qu’enfant, je suis toujours l’enfant du village. Quand la paix s’éloigne de ma vie, j’y retourne, pour y recevoir des énergies que je ne trouve pas ailleurs. Lorsqu’il m’est impossible d’y retourner, c’est l’oralité qui me permet de m’y connecter, j’écoute des vieux chants tandroy qui me mettent dans des états de transe, la connexion au village y est immédiate.

Tu mélanges plusieurs techniques dans ton travail, de la sculpture à la peinture, au collage et au modelage. Quels outils et matières utilises-tu pour réaliser tes œuvres ?

Mes mains imparfaites et maladroites. Elles sont mes meilleurs outils, lorsque je manipule des objets, de la matière, je ferme les yeux pour ressentir l’invisible, l’essentiel. Derrière le visible il y a l’invisible, l’invisible c’est la pluie. L’essentiel dépasse la beauté, l’essentiel est plus vivant et léger. Plus d’élan, moins de recul. Mes mains remplacent mes yeux. Le sens tactile m’aide à choisir, les formes et surtout les textures. J’utilise les papiers journaux, la sève, le sisal, l’eau, la terre, des pigments, des cailloux, du rotin, et des objets de récupérations comme des papiers de bonbons, des Barbie, des touches de téléphone…

L’oralité est une notion dont tu fais mention à plusieurs reprises, que représente-t-elle pour toi ?

Comme un outil de connexion à l’histoire, à l’homme. Tout comme je me nourris des articles des journaux des années 70, je me nourris de la parole de l’homme, des proverbes et des vieux et des chants. A Madagascar, une grande partie des traditions sont orales, au fur et à mesure des années, j’observe un épuisement de nos coutumes, surtout à Antananarivo. Je suis préoccupé par l’éphémérité de notre patrimoine. Alors j’écoute, et je parle à mon tour dans l’idée de transmettre, de perpétuer notre Histoire. Je parle beaucoup.