M'BARKA AMOR
DÉMÊLE, DISCIPLINE ET NOURRIT INTENSÉMENT

PARIS
12 JUIN - 30 JUILLET 2021

La Fondation H – Paris présente Démêle, Discipline et Nourrit Intensément, une exposition de l’artiste M’barka Amor, du 12 juin au 30 juillet 2021. L’artiste, née en 1971 à Lyon, y déploie l’installation qui donne son nom à l’exposition au rez-de-chaussée, la performance mise en scène par M’barka Amor lors de l’ouverture de l’exposition, Passe-moi les clés, ainsi que la vidéo Now I’m White, présentée au sous-sol.

L’enchevêtrement d’objets patiemment créés dans l’atelier de l’artiste en 2021 et qui constitue l’installation Démêle, Discipline et Nourrit Intensément rassemble des dessins-collages (série Fétiche ChapeauBleu et Fétiche Chien Oublié), des broderies et linogravures sur napperons (série Surface / Support), des chapelets façonnés à plusieurs mains en argile naturelle (série BlancChapelet), des objets en argile naturelle (série Les Articulations) ainsi que des contenants-récipients en terre et argile naturelle, eux aussi créées à plusieurs mains (série J’attends).

La performance présentée par M’barka Amor à l’occasion de cette exposition incarne et habite cet ensemble d’objets tel un rite de passage d’un état à un autre : sa peau devenue blanche, l’artiste revendique un nouveau statut sociétal. Avec beaucoup d’humour et un sens aigu de la dramaturgie, l’artiste incante « Passe-moi les clés, en activant l’installation. »

Dans la vidéo Now I’m White, produite en 2020 et présentée pour la première fois à Paris, l’artiste met son corps nu en scène, rythmé par Poème Blanc, incantation lancinante dite par M’barka Amor tandis que, invisibilisée, elle disparait.

Cliquer ici pour lire l’intégralité du livret publié par la Fondation H à l’occasion de l’exposition.

PASCALE OBOLO, FAIRE MONDE

L’artiste M’barka Amor, basée à Lyon, est une artiste chercheuse dont le travail artistique déconstruit les stéréotypes avec beaucoup de dérision et d’humour. Elle travaille comme une archéologue fouillant dans son passé, son histoire intime, afin de questionner la société contemporaine. Les œuvres de l’artiste sont souvent issues de ses expériences personnelles : différentes réalités qui illustrent des injustices liées aux questions de races, de religions, de classes, de structures de violence, d’oppression et d’exploitation issue d’un continuum colonial qui perdure et persiste encore dans notre monde.

L’exposition Démêle, Discipline et Nourrit Intensément est une proposition artistique construite autour de la vidéo Now I’m White, pièce maîtresse accompagnée d’une installation sonore: Poème Blanc. Cette vidéo repose sur la volonté de retrouver à la fois, dénuement et vérité. Dans cette performance, sur un fond monochrome blanc, une silhouette de femme nue se détache. Elle interroge la question de la féminité, de la nudité, à travers la question raciale. L’artiste, qui se met en scène elle-même dans la vidéo, semble dire : « Je suis esclave. Vous m’avez fait esclave. Cette folie me fait me peindre en blanc et disparaitre pour être à nouveau invisible. » On passe de l’état de transe à la folie, avec l’intention de pousser l’absurdité dans ses limites.

L’installation sonore Poème Blanc vient rythmer de façon incantatoire et poétique ce rite de passage macabre qui se joue devant nos yeux, dans cette vidéo. Les paroles oppressantes induisent l’état des corps racisés, celles-ci nous mettent sous pression, nous épuisent. Tels des facteurs externes provoquant de la violence dans et sur les corps des individus : discriminations, hostilités répétées, voire systématique.

Le travail de l’artiste met en évidence les questions de racisme dues à la couleur de la peau. M’barka Amor déforme et désarme la logique établie derrière les identités nationales en jeu. Elle pousse ces questions jusqu’à les rendre dissonantes. Dans cette exposition, l’artiste aborde les tensions et les relents vitaux d’une société en déclin, tant sur le plan social et poli-tique que sur le plan écologique (étude des milieux où vivent les êtres vivants, ainsi que des rapports de ces êtres avec leur milieu). Elle semble nous affirmer : « Regardez-moi ! Moi aussi je suis un arbre ! Prenez soin de moi. »

La vidéo et l’installation sonore se connectent dans l’exposition avec les différentes productions composées d’objets qui y sont aussi présentées : des empreintes corporelles, récipients/contenants, chapelets en terre, textiles et un ensemble de dessins représentant des Fétiches Chapeaubleu et le Fétiche Chien Oublié. Les fétiches sont des accompagnateurs, ceux qui permettent la traversée entre les deux mondes, ceux qui soignent, ceux qui réconfortent, ceux qui sont puissants et donnent de la force. L’artiste M’barka Amor évoque la circulation des énergies, la déambulation et le déplacement corporel de soi.

Les questions de réparation et du soin sont omniprésentes dans l’espace d’exposition. Elles sont abordées de manière frontale et sensible dans les travaux que l’artiste propose. Elle utilise la performance par la transe, la couture de fils blancs pour réparer les corps. Le fil blanc est déployé dans l’espace d’exposition d’une manière organique. Il dégouline comme du vomi (le rejet du contenu de l’estomac par la bouche) : les fétiches dessinés sur des napperons, les installations textiles, les impressions numériques. Le fil blanc vient se tordre, s’entremêler, faire des nœuds. Il vient réécrire avec force de nouveaux récits inclusifs — une autre histoire.

On observe une quête de spiritualité vers le sacré dans cette exposition. Le sacré est relié au profane, le traditionnel au moderne. L’auteur construit son travail autour d’un récit où rêve et réalité se confondent, comme une réponse à ses expériences d’identité, de culture et de patrimoine.

M’barka Amor ancre ainsi son art dans les traditions de son pays d’origine, la Tunisie. Pour elle, la performance peut être un levier vers un échange sur la façon dont elle se voit elle-même dans le monde et dont elle interprète son héritage africain. Sa pratique artistique fait passerelle entre la forme et l’informe, le visible et l’invisible. Elle s’intéresse aux trans-histoires de l’art. D’une série à une autre, ses recherches l’amènent à se réapproprier les différents aspects de cérémonies issues de ses origines tunisiennes à travers le corps féminin.

Son corps est au centre de sa réflexion artistique. Une fois pénétrées dans son espace cérémoniel, les relations formelles entre les œuvres de l’artiste passent d’une rencontre directe à un échange télépathiquement subtil de sensibilités poétiques, avec des formes esthétiques toujours imbriquées dans les réalités sociopolitiques et des moments historiques. Dans cette exposition, l’artiste crée des espaces dans lesquels ses œuvres dialoguent et se répondent, et offrent une réflexion tout en douceur sur notre époque.

Son travail nous interpelle et crée par moment un sentiment de colère, voire de malaise ou le corps entre en conflit avec soi-même. Elle dit : « Faire monde, c’est chercher à désapprendre, à se décentrer. Faire monde, c’est pluraliser les points de vue, créer et multiplier les centres. Ainsi j’interroge les représentations de l’ici et de l’ailleurs à travers nos imaginaires. »

L’artiste M’barka Amor expérimente des formes artistiques qui contribuent progressivement à faire émerger de nouvelles manières de changer la société. Pensée comme un parcours de désenvoutement, fait de passages entre différents médiums. Celui-ci invite chaque visiteur à poser son regard et être attentif.

L’exposition Démêle, Discipline et Nourrit Intensément (D.D.N.I) questionne notre manière d’habiter le monde.

Juin 2021