CYNTHIA COLNEY
MISY DISO [IL Y A DES ERREURS]

PARIS
10 JANVIER - 10 FEVRIER

La Fondation H a invité Cynthia Colney pour une résidence de deux mois à la Cité internationale des arts à Paris suite à sa participation au programme ONDES [un programme de résidence de trois mois mené par la Cité internationale des arts à Paris à destination d’artistes résidants ou originaires des départements et territoires d’Outre-mer.]
Ses recherches donnent lieu à l’exposition Misy diso [Il y a des erreurs], présentée du 10 janvier au 10 février au sein de l’espace parisien de la Fondation H.

CYNTHIA COLNEY
EN DISCUSSION AVEC ASTRIDE YAOBA

Bonjour Cynthia, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Cynthia Colney, je suis née en 1991 à Madagascar. Je suis artiste peintre d’origine franco-malgache résidant à Kourou en Guyane.

J’ai fait des études en sciences de l’art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne puis j’ai intégré un Master en Design et Environnement et enfin j’ai terminé mes études supérieures en me formant au management et l’innovation au Centre Michel Serres. Être artiste n’avait jamais vraiment été une option pour moi, je considérais que ma pratique relevait plus d’une passion que d’une réelle activité dans laquelle je pouvais exercer.

Après avoir travaillé dans la communication et l’innovation, j’ai fait un volontariat de solidarité internationale en Côte d’Ivoire où j’ai fini par m’installer entre 2018 et 2022. C’est en quittant Paris et en me confrontant à un nouvel environnement à Abidjan que j’ai eu envie de reprendre progressivement la peinture, le dessin et d’apprendre la céramique. Le déclic de faire de l’art mon métier a été finalement tout un cheminement qui est arrivé en pleine crise du Covid-19. C’était assez ambitieux mais c’était aussi le moment le plus propice pour débuter ma carrière artistique.

Tu présentes l’exposition Misy diso [Il y a des erreurs] dans l’espace parisien de la Fondation H, fruit de ta résidence. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Ce projet est né de mes retrouvailles en janvier 2023 avec mon pays d’origine, Madagascar, que j’ai quitté depuis plus de 15 ans et où je n’avais pas remis les pieds depuis 10 ans. J’avais envie de parler à travers ces œuvres de toutes ces zones d’ombres liées à mon identité, de tout ce que je ne connais pas. C’est aussi pour moi une manière de me rapprocher d’une partie importante de mes origines et donc de mon histoire.

Ce dernier voyage a été très riche et a fait remonter en moi de très nombreux souvenirs, dont je convoque l’essence ici. J’ai retrouvé des souvenirs d’enfance, j’ai rencontré des gens de ma famille, j’ai réouvert ma maison familiale qui n’avait pas été ouverte depuis plusieurs années. Partir de Madagascar pendant si longtemps m’a permis de revenir avec un œil neuf ; j’ai regardé, noté, conservé l’essentiel des émotions et souvenirs qui m’ont parcouru pendant ce voyage particulier.

Misy diso [Il y a des erreurs] est un projet qui parle de ces retrouvailles. Au fur et à mesure de ma résidence, je me suis confrontée à cette culture qui est mienne mais que je ne connais pas si bien finalement. Misy diso [Il y a des erreurs], c’est aussi un clin d’œil à ces fautes d’orthographe et de syntaxe que je peux faire à l’écrit et à l’oral.

Misy diso [il y a des erreurs], de quelles erreurs justement parles-tu ?

Les erreurs ne sont pas visiblement retranscrites dans mes peintures. Mes peintures sont inspirées de mes archives personnelles, que je modifie à ma guise ; je me sers de la peinture pour idéaliser des scènes vécues et/ou des souvenirs que j’aurais voulu vivre.

Issue d’une double culture, je me suis rendue compte que tant d’un côté que de l’autre je ne maîtrise rien parfaitement. Par exemple, j’écris le malgache comme je l’entends, et quand on y prête attention, on y trouve plein de fautes. C’est assez spécial, car lorsque je me replonge dans le passé il me reste des bribes de vécu : des bribes de souvenirs, des bribes d’histoires, de chansons et c’est vraiment ça, le cœur de mon projet.

Misy diso [Il y a des erreurs] est un voyage dans les tréfonds de ton histoire. Tu mêles les médiums et tu y laisses des indices. Sur quoi as-tu basé tes recherches pour ton projet dans l’espace parisien de la Fondation H ?

J’ai essentiellement basé mes recherches sur des archives personnelles, des souvenirs de mes expériences, des photos de famille mais aussi d’autres références qui viennent nourrir le tout. Ce projet me fait aller à la rencontre de ma culture malgache en récoltant les informations qui sont parfois décousues et que je cherche à reconstituer un peu comme un puzzle.

Lors de ce voyage, je me suis donnée comme mission de visiter la sépulture de ma grand-mère et y déposer des fleurs du paradis. Ce fut un vrai parcours du combattant car je n’avais aucune idée du chemin à prendre pour la retrouver. Malgré la carte que mon oncle avait esquissée, j’ai dû aller à la pêche aux informations auprès de la population locale, faire du porte-à-porte pour retrouver le lieu exact. Ces histoires, ces anecdotes, ces chemins parcourus constituent des ressources clés dans l’élaboration de ce projet.

Déterrer les souvenirs et se les réapproprier, est-ce une façon de changer l’histoire ou est-ce juste un moyen pour toi d’écrire ta propre histoire ?

Pour moi, l’histoire est décrite du point de vue qui est le nôtre. On a beau vouloir être le plus objectif possible, les faits sont souvent relatés en fonction de notre perception.

C’est donc bien un moyen pour moi de me réapproprier ma propre histoire et de la partager mais cela ne veut pas dire que c’est totalement vrai ! Quand je me raconte, je peux partir du réel et je fais intervenir ma perception qui agit ici comme un filtre pour modifier la réalité, ma réalité. On a chacun une perception qui nous est singulière et qui modifie ce que l’on souhaite partager.

On peut vivre la même réalité mais notre perception biaise le rendu de l’histoire.

Nous nous sommes connues en Côte d’Ivoire en 2022 et ton travail était tout autre qu’aujourd’hui notamment en termes de couleurs. Comment ta position géographique impacte le choix des couleurs utilisées dans tes œuvres ?

Le choix des couleurs se fait inconsciemment, instinctivement. De la Guyane à Paris en passant par la Côte d’Ivoire et Madagascar la gestion de la couleur peut constituer le premier pas pour commencer une toile.

Il n’y a vraiment pas de règles préétablies, je peux avancer instinctivement puis découvrir dans la construction de l’œuvre des couleurs qui m’intéressent et que je développe profondément jusqu’à être satisfaite du rendu. C’est bien après que je me rends compte du lien avec mon environnement. Ou au contraire, je peux savoir au préalable la couleur que je veux retranscrire et m’y tenir, comme dans ce projet actuel où je souhaite faire ressortir la terre rouge de Madagascar.

Dans une série de toiles pour ce projet, tu représentes des détails de parties du corps humain, des fleurs, des éléments issus de la nature. Peux-tu nous parler de cet axe ?

La série de détails fait écho aux bribes de souvenirs. Je travaille sur des plans resserrés ; l’idée était de me concentrer sur un détail plutôt que sur la vision globale pour souligner un vécu, un instant.

Ayant l’habitude des grands formats  qui m’octroient une grande liberté dans le geste, travailler sur des petites surfaces fut un véritable défi ! Il fallait être méticuleux et surtout patient dans cet exercice, ce qui est loin d’être mes qualités. J’y ai pris plaisir finalement et je me suis donnée à cœur joie tout en poussant le travail des traits, du détail et des couleurs.

Dans cette série, le détail des pieds est d’abord une évocation de ma terre natale. C’est aussi une référence à la reconnexion à nos racines, par nos pieds, qui permettent littéralement cela. C’est aussi un clin d’œil aux zanatany [étrangers en malgache mais qui veut littéralement dire enfant de la terre] qui peuvent avoir une forte appartenance à une terre par l’amour de ce pays et non forcément par l’origine.

Resserrer les visages, les corps, les végétations m’a finalement permis d’en dire beaucoup plus, tout en coupant la suggestion pour laisser une libre interprétation de ce qui n’est pas donné à voir, tel des indices.